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Au début... au début était la grand-mère.

Toujours avec son chignon, fixé par une seule barrette, ou plutôt une grosse épingle en écaille qu'elle plantait dans la masse, amaigrie par le temps, de ses cheveux enroulés sur le haut du crâne.

 

Combien de fois dans sa vie a-t-elle fait ce geste ? Jusqu'à ses 90 ans, chaque jour et plusieurs fois par jour les jours de fatigue, de chaleur, les jours où elle disparaissait derrière l'ouvrage. Sans y réfléchir, sans se regarder dans un quelconque miroir, ou même dans le simple reflet de soi dans une vitre. C'est peut-être ce geste là qui m'attire et m'enchante, au sens premier du terme : envoûtée, sous le charme d'un sortilège. Me coiffer les cheveux en chignon, c'est continuer. Reprendre son geste, et continuer ce qu'elle m'a appris.

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Le 15 août, on en finissait avec les vacances, qu'elle ne comprenait pas vraiment, mais qu'elle nous accordait avec une froideur d'apparence et une tendresse enfouie, toute la tendresse du monde qui roulait, transparente, dans la larme sur sa joue le jour de notre départ. Le 15 août, c'était la fête, elle s'appelait Marie. Le lendemain, on allait à la mercerie du village voisin, non plus à pied, par la montagne comme elle le faisait jeune, parce qu'on avait abandonné les chemins à travers le maquis, chemins perdus, mangés par les cistes, les myrtes et les arbousiers. On y allait en voiture. Et là elle m'achetait les pelotes de laine destinées à mon tricot. Le tricot de la rentrée.

Le 16 août - elle connaissait l'agenda du ciel et des nuages, de la pluie qu'elle sentait avant qu'il ne pleuve, des prémisses du froid - on changeait de vie. Plus de rivière, les pluies en montagne la rendaient inquiétante. Nos jeux se limitaient à des échappées dans le village, à grimper sur des rochers ronds et moussus, à guetter la route, sillage sur la colline d'en face qui annonçait le pain, l'épicier, le boucher, et dont nous la prévenions bien avant le klaxon sur la placette.

Et puis je tricotais. Je crois que c'est par amour pour elle que j'aimais tricoter. Le fil glissant entre les doigts, la pelote qui fond et mon ouvrage qui monte.

Plus tard, quand elle me regardait tricoter, alors que j'étais adulte et elle, encore plus "grand" que "grand-mère", assise à côté de moi, elle laissait flotter son regard sur les gestes de mes doigts, et de sa main flétrie dévidait lentement la pelote.

Au premier jour, était la grand-mère.

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